Darcy did intend for his sister to marry Bingley. [1]
Voilà une assertion bien audacieuse qu'on peut lire sur The Republic of Pemberley. La plupart des lecteurs idéalise Darcy et ne peut imaginer qu'il puisse arranger une telle union pour sa sœur. De plus, tout comme Lizzy, les lecteurs semblent persuadés que Mr Bingley est réellement amoureux de Jane et qu'aucune jeune femme ne lui conviendrait mieux que cette dernière. Pourtant, Jane Austen fait à plusieurs reprise allusion au couple Georgiana/Bingley au cours du roman. Il est dès lors intéressant de se demander si cet événement était sérieusement envisagé par les différents protagonistes du roman, et quel était le point de vue de chacun, en particulier celui de Darcy sur ce potentiel mariage.
La première fois que le lecteur apprend une possible alliance entre Georgiana et Bingley est dans la lettre que Caroline Bingley envoie à Jane lorsque toute la petite compagnie quitte Netherfield peu de temps après le bal. Elle écrit :
Mr Darcy is impatient to see his sister, and to confess the truth, we are scarcely less eager to meet her again. I really do not think Georgiana Darcy has her equal for beauty, elegance, and accomplishments; and the affection she inspires in Louisa and myself, is heightened into something still more interesting, from the hope we dare to entertain of her being hereafter our sister. (...) My brother admires her greatly already, he will have frequent opportunity now of seeing her on the most intimate footing, her relations all wish the connection as much as his own, and a sister's partiality is not misleading me, I think, when I call Charles most capable of engaging any woman's heart. With all these circumstances to favour an attachment and nothing to prevent it, am I wrong, my dearest Jane, in indulging the hope of an event which will secure the happiness of so many?
[PP] , chapter 21
D'après Caroline Bingley, Georgiana Darcy portera le nom des Bingley dans un futur, du moins, l'espère-t-elle (from the hope we dare to entertain of her being hereafter our sister). Cette conviction est de plus soutenue par sa soeur Louisa Hurst (Louisa and myself (…) we ...) et peut-être même par des personnes dans l'entourage de Georgiana, incluant son frère (her relations all wish …). Plus loin dans sa lettre, elle sous-entend que son frère nourrit des sentiments à l'égard de Georgiana (My brother admires her greatly) et approfondit leur relation (on the most intimate footing) ; il la courtiserait donc. Même si Caroline Bingley n'admet pas que sa position de soeur la rend partiale face à ces évènements (a sister's partiality is not misleading me), elle arrive tout au plus à faire douter Jane de la constance de Mr Bingley, mais elle ne convainc personne. En tout cas, Lizzy est bien décidée à croire qu'un mariage entre Miss Darcy et Bingley n'est qu'une chimère dans l'esprit de Caroline Bingley.
A ce stade du roman nous avons donc deux opinions sur la question qui nous préoccupe. D'une part, Caroline Bingley prétend que son frère épousera Georgiana Darcy. D'autre part, Lizzy n'y croit pas un mot et considère cela comme un pure invention (ou machination) de Caroline Bingley. Nous ignorons tout des sentiments des principaux intéressés, Georgiana Darcy et Charles Bingley. L'opinion de Darcy, bien que Caroline y fait très subtilement allusion, est elle aussi inconnue
Un peu plus loin, Jane Austen refait allusion au couple Georgiana/Bingley. L'extrait suivant se situe après la révélation du Colonel Fitzwilliam de l'implication de Darcy dans la séparation de Bingley et de Jane.
(…) and she [Lizzy] was quite decided at last, that he [Darcy] had been governed by this worst kind of pride, and partly by the wish of retaining Mr Bingley for his sister.
[PP], chapter 33
Lizzy vient d'apprendre que Darcy est intervenu pour éloigner son ami Bingley de Jane, sous le motif qu'il y avait de fortes objections à l'égard de la famille de la jeune femme ( [PP], chapitre 33). En réfléchissant aux possibles objections que Darcy pouvait bien avoir contre les Bennet, elle les trouve toutes légères. Finalement elle conclut que Darcy était gouverné par son orgueil et en partie par le désir de garder Bingley pour sa soeur. L'avis de Lizzy a donc évolué depuis la lettre de Miss Bingley. Incapable de trouver une explication plausible au comportement de Darcy, elle en vient à croire que Miss Bingley avait probablement raison, que Darcy souhaite réellement que sa soeur épouse Bingley. Pourtant, Lizzy émet ces pensées sous le coup de la colère. Ce n'est pas un raisonnement rationnel qui l'a conduite à cette conclusion. Néanmoins, elle ne rejette désormais plus cette éventualité.
A l'occasion de sa visite à Pemberley, qui accueillait aussi les Bingley, Lizzy aura l'occasion d'observer Bingley en compagnie de Geogiana. Voici ce qu'elle voit :
(…) she [Lizzy] could not be deceived as to his [Mr Bingley's] behaviour to Miss Darcy, who has been set up as a rival to Jane. No look appeared on either side that spoke of a particular regard. Nothing occurred between them[Mr Bingley and Miss Darcy] that could justify the hopes of his [Mr Bingley's] sister.
[PP], chapter 44
Ainsi, Lizzy et par le même occasion le lecteur, est rassurée. Bingley ne semble pas avoir de sentiments pour Miss Darcy, il penserait même toujours à Jane (he (…) took occasion to ask her (…) whether all her sisters were at Longbourn (…), [PP], chapter 44). Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes : Bingley n'est pas amoureux de Georgiana Darcy, Georgiana n'espère rien de la part de Bingley ; tout cela n'était qu'une chimère sortie de l'imagination de Caroline Bingley.
Pourtant, il y a cet extrait situé au chapitre suivant dans lequel Jane Austen écrit que Darcy souhaitait appeler Bingley son frère.
Not a syllable had ever reached her [Miss Bingley] of Miss Darcy's meditated elopement. To no creature had it been revealed, where secrecy was possible, except to Elizabeth; and from all Bingley's connections, her brother [Darcy] was particularly anxious to conceal it, from that very wish which Elizabeth had long ago attributed to him [Darcy], of their [the Bingleys] becoming hereafter her [Miss Darcy's] own [connections]. He [Darcy] had certainly formed such a plan, and without meaning that it should affect his [Darcy's] endeavour to separate him [Bingley] from Miss [Jane] Bennet, it is probable that it might add something to his [Darcy's] lively concern for the welfare of his friend [Bingley].
[2] ; [PP], chapter 45
Jane Austen écrit : Darcy avait certainement établi un tel plan. Si Jane Austen elle-même l'écrit, c'est que c'est sûrement vrai. Et voilà que le mythe d'un Darcy aimant sa soeur, ne voulant que son bonheur et souhaitant qu'elle aussi fasse un mariage d'amour s'effondre. Pourtant, le lecteur a tort de projeter une telle image modernisée de Darcy. Souvenez-vous de sa désastreuse demande en mariage à Hunsford et de l'importance qu'il accorde au rang. L'amour était pour lui une chose futile et éphémère que l'on doit étouffer et oublier.
Georgiana se doit de faire un mariage avantageux. En ce sens, Bingley peut être considérer comme un bon parti. Soit, la fortune des Bingley provient du commerce (les fameuses origines in trade que Miss Bingley veut à tout prix oublier). Considérons qu'à l'heure du récit, Bingley a tout de l'allure d'un gentleman (même si ce n'est que depuis une génération) ; il ne lui manque qu'un domaine et c'est pour cela qu'il loue Nertherfield. De plus, c'est un proche ami de Darcy, il a confiance en lui et sait qu'il prendra soin de sa soeur. Puis avec le désastre de Ramsgate, il est compréhensible que Darcy veille marier sa soeur pour éviter de tâcher sa réputation (la réputation de Georgiana et du nom des Darcy par la même occasion). [3]
Donc, nous vous avons montré que Jane Austen a effectivement écrit que Darcy souhaitait une union entre Bingley et sa soeur. Nous avons même apporté des éléments pour justifier la démarche de Darcy. Pourtant, la problématique n'est pas close. S'arrêter ici dans l'analyse serait oublier le génie de la plume de Jane Austen. L'ironie est omniprésente dans le livre et il ne faut pas l'oublier. S'arrêter à la première lecture d'Orgueil et Préjugés nous fait perdre des subtilités du texte.
Darcy avait certainement établi un tel plan.
D'après nous, la présence de l'adverbe certainement n'est pas anodine et sa signification est déterminante. Le premier sens de l'adverbe certainement est sans aucun doute ; mais son deuxième sens est, d'après le Larousse, probablement [LAR06]. Ainsi, il n'est pas faux d'affirmer que le premier sens de cette phrase est que Darcy avait, avec certitude, établi un tel plan. Cependant, une deuxième lecture suggère un certain degré d'incertitude. Certainement, soit probablement, soit peut-être alors. Un doute persiste. A notre sens, s'il avait été clair que Darcy souhaitât cela, il n'y aurait pas de raison que ce certainement soit présent. En effet, Jane Austen n'est pas un écrivain au style « littéraire » comme l'est un Victor Hugo, au contraire, sa narration est efficace : elle n'écrit que ce qu'il est nécessaire d'écrire, pas plus. Au contraire, la présence de ce certainement suggère subtilement que finalement, personne à part Darcy lui-même; ne savait ce qu'il projetait pour sa soeur.
Ainsi, nous sommes d'avis qu'aucun des personnages, excepté Caroline Bingley, n'avait sérieusement envisagé un mariage entre Miss Darcy et Bingley. Cette simple allusion que Miss Bingley a un jour fait a torturé inutilement les esprits de Lizzy et Jane. Elle a en outre réussi à alimenter les débats entre lecteurs d'Orgueil et Préjugés quelques deux cents ans après sa publication. Pourtant, ne lui cédons pas cette victoire. Sur cette question, Jane Austen était aussi romantique que nous, lecteurs modernes, une seule femme était destinée à Bingley : Jane
Références
Bibliographie
[PP] Jane Austen, Pride and Prejudice Edition utilisée : Harper Collins, 2009 (en anglais) [LAR06]↑ Dictionnaire Le Larousse de poche - Edition 2006, Larousse, 2006 [BUR06] BURY L. SIPIERE D., … , Pride and Prejudice, le roman de Jane Austen, Editions Ellipses, 2006 (bilingue français-anglais)
Webographie
[1]↑ Index of characters sous “Georgiana Darcy” sur The Republic of Pemberley (en anglais) URL : http://www.pemberley.com/janeinfo/ppdrmtis.html#index3 [2]↑ Not a syllable … , rubrique Jane Austen : Pride and Prejudice – Note on Random Topics sur The Republic of Pemberley (en anglais) URL : http://www.pemberley.com/janeinfo/pptopics.html#notasyll [3]↑ Sylwia, Caroline and Darcy's Joint Wishes sur Austenette : Mending My Own Pen, 15/11/2008 (en anglais) URL : https://austenette.wordpress.com/2008/11/15/ [4] Sylwia, Bingley and Georgiana sur Austenette : Mending My Own Pen, 14/02/2009 (en anglais) URL : https://austenette.wordpress.com/2009/02/14/
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