Il
est de tradition qu'en fin de rhétorique, les élèves réalisent un
travail de fin d'étude (TFE). Dans mon école, ce sont les
professeurs de cours philosophiques qui sont chargés de superviser
le déroulement de cette tâche d'une ampleur assez importante.
La
consigne (reformulée) était la suivante. Traiter un sujet au choix
aboutissant à une ou plusieurs questions philosophiques. Le travail
devra comporter une trentaine de pages et être correctement rédigé
et présenté. Les points obtenus feront office de note d'examen. Une
présentation orale sera aussi envisageable, bien que facultative et
sur base volontaire. La défense constituera alors un bonus ajouté à
la cote finale.
Le
titre final que j'ai choisi pour mon travail est la question : La
musique est-elle un langage universel ?
Ce
TFE m'a demandé beaucoup d'heures de recherche, de travail et de
réflexion. Je m'y suis beaucoup impliquée et j'ai les sentiment
qu'aujourd'hui je maîtrise plutôt bien mon sujet même si je suis
loin d'avoir fait tout le tour de la question.
Le
but ici n'est pas de donner une copie de ce travail ; cela tenterait
trop les plus malhonnêtes de s'en inspirer pour un éventuel devoir.
Vous trouverez seulement l'introduction, une synthèse du corps du
TFE et la conclusion. La bibliographie (et webographie) y a aussi été
ajoutée pour ceux qui seraient intéressés par le sujet.
Par
ailleurs, un ouvrage que je recommande vivement est La
musique, Anthologie littéraire et philosophique de
VIVES V. paru
chez Libella. Ce livre est une vraie mine d'or, les textes sont
extrêmement bien choisis, et pertinents. Si vous êtes juste une peu
curieux sur le sujet, jetez-y un coup d'oeil, ça en veut la peine.
Cet
article peut en fait être considéré comme une porte ouverte vers
une réflexion philosophique. Un petit moment pour se poser et penser
librement.
INTRODUCTION
« La musique est un langage universel ».
Voilà une phrase que l'on entend souvent et qui est presque
communément acceptée. La plupart des gens ne pense pas à remettre
cette assertion en question et ne s'interroge pas sur son bien-fondé,
si bien qu'elle est devenue pour beaucoup de personnes une vérité
admise. Pourtant, qu'est-ce qui nous permet d'affirmer cela? Pourquoi
la musique est-elle considérée comme un langage? Comment ce denier
peut-il être universel? C'est ce que nous essaierons de mettre en
évidence dans ce travail.
Avant de continuer plus loin, nous allons définir les
mots intervenant dans la question du titre. Le dictionnaire Le
petit Larousse illustré donne
la définition suivante pour le terme « musique »
: « art de combiner les sons ; ensemble des
production de cet art. »
Bien que cette définition ne soit pas incorrecte, nous constaterons
plus tard qu'elle est l'objet de nombreux débats parmi les amateurs
de musique. En outre, le langage est défini comme « la
faculté propre à l'homme d'exprimer et de communiquer sa pensée au
moyen d'un système de signes vocaux ou graphiques ; ce système. »
Il sera donc question des liens entre la musique et le langage.
Enfin, toujours d'après le dictionnaire Le petit Larousse
illustré, est universel ce qui
« s'étend, convient à tout ou à tous ».
Nous envisagerons donc finalement l'universalité ou non du langage
musical.
Depuis toujours, nous sommes passionnés par le
langage, les différentes formes que celui-ci peut prendre et les
significations qu'il peut revêtir. En effet, il existe mille et une
façons d'exprimer une simple idée, que se soit dans l'outil de
communication choisi (la parole, les mots, les gestes, le corps …)
ou bien la manière de l'utiliser (la prose, les vers, les images …)
Ainsi, nous trouvons que chercher à comprendre la raison de la
présence d'un procédé de communication ou d'un autre est semblable
à un jeu de décodage d'énigmes, ce qui est passionnant. En outre,
nous sommes sensibles à la musique parce que nous l'avons étudiée
pendant sept ans et nous continuons par ailleurs toujours d'en jouer.
Nous avons donc voulu assembler ces deux thèmes initiaux qui nous
intéressaient particulièrement et nous avons alors abouti à ce
sujet-même présenté sous la forme de la question suivante « la
musique est-elle un langage universel? ».
Cette question nous permettra d'aborder des notions
vues au cours de morale cette année : l'épistémologie et
l'esthétique, deux branches de la philosophie qui interviennent dans
notre sujet. En effet, la première s'interroge sur les sciences et
sur les connaissances en général. La musique fait bien partie de
son champ d'étude car elle a longtemps été associée aux sciences
et l'est même toujours aujourd'hui pour certains ; la discipline
scientifique qui y est consacrée se nomme l'acoustique. Ensuite, la
deuxième s'intéresse à l'art, à sa perception, ses sens et à la
notion de beau s'y rapportant. Il se sera question dans ce travail de
la musique, considérée comme un art, de la façon dont celle-ci est
perçue et du sens qui lui est attribué. Enfin, ce travail nous
demandera de bâtir un raisonnement logique, suivant une progression
dans les idées. De plus, il faut que notre développement soit
construit de façon cohérente, utilisant l'argumentation illustrée
par des exemples. Ce sont bien là des compétences travaillées au
cours de morale et essentielles dans la pensé philosophique.
Le
présent travail comporte deux parties. La première est consacrée à
l'étude de la musique. Notre attention se portera plus
particulièrement aux formes sous lesquelles elle était présente à
différentes époques et aux significations qui lui étaient
attribuées à ces mêmes périodes. Le sujet de ce travail n'étant
pas l'histoire de la musique ni l'écriture et l'analyse musicale,
nous réduirons les passages relatifs à ces deux aspects de la
musique, au risque de trop simplifier la matière mais dans le but de
laisser le contenu de ce travail accessible à tout lecteur quel
qu'il soit. Nous la complèterons ensuite avec des analyses de
discours de compositeurs sur la musique. La seconde partie quant à
elle sera orientée vers le côté philosophique de la question et
nous envisagerons pour cela des textes de philosophes afin de dégager
les différentes réflexions déjà émises sur ce sujet.
SYNTHESE
Au
Moyen Age, la musique était uniquement chantée, monodique et à
sujets religieux. Ensuite, celle-ci se complexifie et ses sujets
varient. Cette évolution continue jusqu'à la Renaissance où elle
est désormais polyphonique et chante également des textes profanes.
Durant ces deux périodes, la musique est associée aux sciences.
Puis
vient l'époque baroque. La musique pure, instrumentale et libérée
d'une circonstance particulière, fait son apparition de même que
l'expressivité dans cette dernière. Du côté philosophique, la
mentalité typiquement médiévale côtoie celle classique. (cf.
Rameau et Rousseau)
Le
maître-mot du classicisme, la période suivante, est « règles ».
Tout en musique est soumis à des codifications et à des
conventions. La musique est alors considérée comme une langue
exprimant des idées et elle plait en outre à tous.
Au
classicisme succède le romantisme, époque la plus riche aussi bien
en composition musicale qu'en écriture philosophique sur cette
dernière. La caractéristique principale du romantisme est la
présence des sentiments et de l'expression dans les œuvres. C'est
aussi l'âge à partir duquel la musique est considérée en
elle-même comme musique et qu'on ne cherche plus à la relier à
d'autres disciplines. Puis, on pense qu'elle est une langue qui
s'adresse à tous mais chacun la comprend de sa propre
manière.
Enfin,
nous arrivons à l'époque contemporaine aussi appelée la Modernité.
Celle-ci se caractérise par une toute nouvelle conception de
l'écriture musicale, la tonalité est entre autre rejetée. Si la
pensée romantique de la musique est toujours d'actualité, la notion
du discours sur la musique, lequel est impossible, a été ajoutée.
CONCLUSION
En commençant ce
travail, nous étions persuadés que la musique n'était pas
un langage universel. Comment une chose créée par l'homme, qui de
plus s'apprend et s'étudie pourrait-elle être commune à tout être
humain, nous demandions-nous. Nous poursuivions ensuite en disant que
la musique est basée sur des conventions culturelles propre à une
société.
Il suffit en effet
de comparer notre musique occidentale à des formes de musique
asiatique, par exemple, pour se rendre compte qu'elles sont toutes
les deux très différentes l'une de l'autre et que les sons qui les
composent sont leur seul point commun. En outre, lorsque nous faisons
écouter de la musique traditionnelle indienne à un Européen,
celui-ci s'ennuie après seulement trente secondes : ce comportement
révèle son incompréhension. Cette expérience montre donc que la
musique a besoin de pré-requis pour être appréciée et comprise,
et qu'elle n'est donc pas un langage universel applicable à tous les
hommes.
Un autre indice
allant dans le sens d'une musique non universelle est cette histoire
assez célèbre qui a été rapportée par un voyageur d'Afrique. Un
Européen ayant écouté un musicien africain jouer un air sur sa
flûte essaie de la reproduire. Alors qu'il trouvait l'exercice
difficile au début, il arrive finalement à déterminer les hauteurs
des sons qu'il a entendus et joue ce qu'il croit être la mélodie
initiale. Cependant l'indigène n'est pas de cet avis et reproche à
l'Européen de ne pas avoir fait attention au timbre des sons. Alors
que la musique occidentale est faite de sons déterminés
principalement par leur hauteur, la musique africaine, semblerait
quant à elle, accorder essentiellement de l'importance au timbre des
sons. La conception de musique varie donc d'une civilisation à
l'autre et sans explication au-préalable, nous comprenons mal la
musique d'un peuple différent.
A ceux qui ne
trouvaient pas ces premiers arguments assez convaincants, nous leur
montrions une partition de musique « classique »
occidentale et nous leur demandions de la lire. S'ils connaissaient
le code qui permet d'écrire la musique, ils réussissaient la tâche
demandée sans aucune difficulté. Par contre, lorsque dans un second
temps nous leur soumettions une partition datant du Moyen Age, ces
personnes étaient incapables de déchiffrer ce qu'ils avant devant
leurs yeux. La lecture de la musique demande donc un apprentissage et
cette faculté, non innée, ne peut donc pas s'appliquer à tous les
hommes.
A cette époque
nous pensions avoir cerné la question. Nous avions envisagé la
façon dont la musique est écoutée et perçue, dont elle est
produite et puis finalement la façon dont elle est écrite et lue.
Pourtant, en
réalisant ce travail sur le langage musical, notre opinion sur le
sujet a évolué. Notre position n'est plus aussi ferme
qu'auparavant. Lire les points de vue de différents artistes et
philosophes sur cette question nous a permis de prendre connaissance
de nouveaux arguments auxquels nous n'avions pas pensé et de
réfléchir plus longuement sur les diverses opinions existantes.
Confronter les idées de chacun, les rapprocher et les comparer nous
a obligés à repenser et à réévaluer notre position initiale.
Ensuite, reformuler les informations, les organiser et les critiquer
ont été des moyens pour nous assurer de les avoir bien comprises.
Enfin, ce travail nous a permis d'exercer notre esprit d'analyse et
notre esprit critique.
A l'issue de ce
travail nous trouvons que la musique possède un caractère
universel.
En effet, elle est
présente dans toutes les cultures, partout, elle mobilise les sens
de l'audition et de la vue et elle remplit un rôle de communication
entre les hommes.
En outre, d'un
point de vue strictement physiologique, les mécanismes de création,
de reconnaissance et d'interprétation de la musique sont similaires
d'une personne à l'autre même si elles sont issues de cultures
différentes. Les sons sont tout d'abord entendus, captés par les
oreilles, puis transmis au cerveau qui traduit enfin l'information
reçue. Ce processus est commun à l'espèce humaine et cela n'étonne
normalement personne d'apprendre que le cerveau d'un homme est
anatomiquement identique à celui d'un autre homme, de même que
toutes oreilles humaines fonctionnent rigoureusement de la même
façon.
La musique, qu'elle
soit américaine, chinoise ou française reste toujours de la musique
et son principe est le même : elle est une création humaine,
composée de sons et vise à porter un message. C'est en cela que la
musique est un langage universel : elle diffuse des informations
(elle raconte une histoire, elle nous fait danser, elle nous fait
rêver ou pleurer …) et son mode de fonctionnement est utilisé par
tous les hommes.
Néanmoins, ceux
qui se réjouiraient d'avoir trouvé la langue universelle utilisée
et comprise par tous et qui voudraient utiliser la musique pour
discuter avec des personnes originaires du monde entier risqueront
d'être déçus. En effet, nous avons bien dit jusqu'à présent que
la musique était universelle mais si nous y sommes tous sensibles,
c'est parce qu'elle nous est instinctive.
La musique,
contrairement aux mots et à la parole, ne désigne ou ne représente
aucun objet précis ; elle crée des sensations et des sentiments,
elle parle à notre imagination et demande à être interprétée.
Pour que les mots désignent un objet ou une pensée déterminée, il
a fallu que leurs sens aient été fixés au préalable. Ainsi, dès
la petite enfance, nous apprenons à parler et associons le mot
« mer » avec la grande étendue d'eau que nous voyons.
Pour que la musique puisse être utilisée comme une langue
internationale, il faudrait aussi qu'on établisse un code pour
qu'une quinte juste signifie par exemple « joie ». Des
compositeurs ont déjà écrit des œuvres suivant des règles
sémantiques se basant sur ce même principe. Mais dans ce cas-là,
l'écoute d'une telle œuvre nécessite une étude des codes
utilisés, tout comme nous étudions du vocabulaire spécifique avant
de lire un texte dans une langue étrangère. Cette musique qui
signifierait des mots précis n'est donc plus universelle puisque
n'importe qui n'est plus capable de la comprendre.
Ainsi, la musique
est un langage universel mais ce langage ne « dit » rien,
il se laisse juste interpréter, laissant de la place à l'expérience
de chacun, à sa sensibilité et à son imagination.
BIBLIOGRAPHIE
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